l'aiguille et les poules

Publié le 27 Août 2017

La maladie de l'aiguille (galéjade vraie)

 
 

poularde.jpg

Petite galéjade vraie dédiée à mon défunt père

 

Galéjade et vraie ne vont pas ensemble, mais il faut faire des exceptions quelquefois

 

Cette histoire est presque  une galéjade mais  elle est vraie,  mon père me l'a racontée lorsque j'étais petit.

Cela se passe dans les années  1929.  Comme certaines personnes de mon village sont encore bien vivantes je ne citerais surtout pas leurs surnoms, car dans les villages provençaux, tout le monde à un surnom.

Allez je vous dire un petit secret, mon papa de condition très modeste gardait les chèvres une partie de ses jours de vacances scolaires, tout bêtement il a hérité du nom de "bichette", et moi par la suite, sans avoir eu à garder des chèvres, je suis devenu "biche", c'est comme ça. Il n'est pas rare lorsque je téléphone à quelqu'un du village,je n'ai besoin que mon surnom pour me faire reconnaitre.

Et si je donne mon vrai nom, cà donne :

 - Qui ? Biche !!! putain.  - Ah c'est toi tu ne pouvait le dire, gngngn !!!!!!!

 Mais revenons à la maladie de l'aiguille

 Bref à cette époque là mon père était déjà un fort bon cuisinier, et lorsqu'il revenait de saison, ses "amis" lui tombaient sur le poil pour lui faire faire la cuisine de leurs ribotes*. Le gibier était abondant, et certains se rappellent encore l'époque où nos anciens avaient des crises de goutte à cause d'excès de gibier dans leurs repas quotidiens. Le docteur du village disait alors :

 - oh maistre, il faut un peu manger de la viande chrétienne maintenant. (fauou mangea Christian, ouro)

 Bon, je sens que vous allez déformer mes propos, ON est pas cannibale, la viande chrétienne veut dire simplement, viande de boucherie, et pas d'abats surtout. Pour les abats il y avait le tripier, qui vendait des tripasses et autres abats qui sont devenus actuellement aussi chers que de la bonne viande de boucherie (exemple la queue de boeuf), maintenant il y a McDo qui vend de la merde sans les tripes  et  ce n'est pas mieux. Vè je préfère une bonne andouillette au moins on sait quelle partie de l'animal on mange, il faut cela ai le goût de la m... mais pas trop

 

Tout cela pour en venir à dire que les grives, sangliers, lièvres, perdreaux et autres, et bé ils en avaient un peu marre. Bé voui, c'était de la viande gratuite, oh ! On n'est pas riche en Provence. Alors pour faire un bon repas ils dédaignaient le gibier et préféraient de la "viande normale", genre poularde bien grasse truffée, avec de la vraie truffe , pas de petits morceaux , de la bonne , de la grosse , de la pure, de la rabasse* de Cotignac, coupée en tranches

 

 - alors biche fait nous une bonne poularde ce dimanche

 - pas de problème (il avait le coeur sur la main, lui qui venait de terminer une saison harassante, la cuisine était bien plus pénible à l'époque), il me faut juste la poularde, à qui le tour cette fois !

 Bé heu, comment te dire, allez  zou on va tirer au sort.

 Je sens que vous posez des questions. Non ce n'est pas l'histoire du petit mousse  sur un bateau affamé bande de cannibales.

 Je vous explique,  les poulardes étaient engraissées en vue du repas de Noël, en effet cela faisait partie du traditionnel repas de Noël, et non pas la dinde made in USA,  fichtre c'était meilleur. Donc chaque paysan avait dans son poulailler 3 à 4  poulardes, une pour lui, et les autres à vendre.

 

 Ces fils de paysans étaient en train de tirer au sort pour savoir qui allait fournir la poularde à mon père, les truffes ce n'était pas un problème, mais la poularde si !

 

 - oh , buou,  es a tu aqueou cauou ( oh ..... c'est à toi cette fois)

 - aquo mi fa caga es le segun cauou qu'aco mi toumbe sute l'esquine (ça me fiat c... c'est la deuxième fois que cela me tombe sur l'échine  "le dos")

 - Mon père il va me tuer cette fois, la dernière fois j'ai dis que c'était un renard, et il m'a cru à moitié.

 - alors fait lui le coup de l'aiguille !

 - et vous croyez qu'il va marcher dans cette combine, il est pas con

 - mais si

 - quoi ? Il est con mon père ?

 - mais non, mais l'aiguille ça marchera tu verras

 A ce stade il faut que je change les surnoms car autrement demain si un rescapé ouvre internet et lit ces quelques ligne il va se reconnaître, et la je vais morfler.

 

 Lou Fèlun (félin) allait s'occuper couillonner et caver (creuser en cherchant) quelques rabasses la nuit.  Pour la bastide pas de problème Gàri (le rat) trouvait toujours un bon bastidon pour les ribotes entre autres, la pible (le peuplier car il était grand et mince) s'occupait du pain, et Niele (les puces) piquait le reste dans l'épicerie de sa mère.

Bé, mon père Bichette, fournissait ses outils et son savoir faire.

Pour le vin pas de problème, il suffisait d'aller à la cave coopérative ou notre regretté Camille qui faisait un si bon grenache, donnait généreusement son bon vin (voué les temps ont changés, ils le vendent maintenant).

 

 Et le pauvre buou (.....) avait la lourde charge de fournir la poularde à l'aiguille.

Voila j'y viens certaines de mes lectrices vont me tuer cette fois.

 Le samedi matin de bonne heure il s'introduisait dans le poulailler en faisant le finatchou*  et à l'aide d'une aiguille à tricoté en fer "piquait" une poularde juste derrière la nuque, juste un petit trou suffisant pour la tuer sans trace. Puis il allait placer la poularde au milieu de l'enclos et allait se recoucher.

 

 Sa mère le matin en allant donner le grain et ouvrir aux poules (les femmes avaient à charge Gouvernait) la volaille et les lapins en plus se toutes les autres tâches, c'était une vie dure à l'époque, je ne rigole pas) trouvait la poularde presque froide, elle appelait son homme pour lui "faire "montrer" comme on dit dans le midi.

 Et mon buou arrivait juste là par hasard

 - à bé merde alors elle était en pleine forme cette bête, moi je n'irai pas la vendre si j'étais toi Pa. On sait jamais, si cela se sait !! (Tout se sait dans un village, tout, même si vous avez eu la gratouille il y a deux jours).

- putain on ne peut pas jeter cette bête tout de même

- demain on fait ribote, je la porte aux copains et je dis rien, moi j'en mangerai pas je dirai que je suis pas bien, et puis ils sont solides et craignent rien eux

- allez zou, prends la et ne dit rien surtout, à personne, hein.

 

 Ensuite il y avait tout le reste de l'histoire, des ripailles, etc ...vous voyez , il n'y avait pas la stars aque,, ils s'amusaient tout de même, on est bête mais pas méchant.

 

 Voila c'est tout, mais le coup de l'aiguille il ne fallait pas le faire souvent, ils n'étaient pas si cons que ce que vous pensez nos paysans.

 

langouste_001

 

 La recette de la poularde truffée de mon père je ne vous la donnerais pas. Voici un de ses livres au dessus.  Mon père est mort trop jeune et ne me l'a pas transcrite sur un papier quelconque, de même que ses fameuses  langoustes à l'armoricaine, dommage, contentez vous du Net pour trouver bien souvent des recettes plus que fantaisistes ou des sites professionnels payant.

 

On ne dira jamais assez le poids de la solitude, la force qu'il faut pour se tenir seul dans l'existence.

Anne Dufourmantelle (1964-2017)

 

 * ribotes : ripaille, bamboche, boire et manger avec excès (anan faïre ribotes) nous allons faire ripaille

 * rabasse : truffes noire , tuber melanosporum

 * finatchou : malin, le fin, rusé, sans bruit

 * rhino : recette facile, s'envelopper dans un drap humide et sortir quelques minutes dehors, succès garanti. Fond de commerce des médecins

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Rédigé par La Cachina

Publié dans #Galèjades

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D
elle est jolie ton histoire , elle nous donne la nostalgie d'autrefois les mentalites ont bien changes bisous
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J
Tpout a bien mal changé daniele, que de bons sens , entraide, etc .....ont disparus, un mode de vie qui ne reviendra pas, tout est compétition maintenant. Bisous
C
J'ai bien rigolé en lisant l'histoire de cette poularde ! Et je vois qu'en Provence, les jeunes ressemblaient étrangement aux Catalans de chez moi ! Allez, bisous Jupi.
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J
C'était l'époque qui voulait ça monique, les gens s'amusaient d'un rien, et comme dans le Sud on est pas des tristes , les histoires comme celle -ci doivent être courantes. Bisou, que Dieu te garde
M
Bonjour,<br /> merci de cette richesse d'information toute personnelle.<br /> J'aurai plaisir à vous suivre.<br /> En lisant votre galéjade "vraie" j'ai lu que votre papa était surnomé Bichette<br /> - "alors biche fait nous une bonne poularde ce dimanche" il s'agit de vous ou votre père?<br /> Juste pour le contexte et comme j'aime comprendre un texte....(heureusement , vous traduisez!! )
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J
Maricé, merci, bien quétant dans un pays truffier, celles-ci sont très chère et faire une vraie poularde demie dieul en demande beaucoup, sans compter la poularde qui ne se fait plus chez nous, ici on vit du tourisme et du raisin. On ne fait pas de légume (une honte). Alors.......
M
Merci pour ce partage. <br /> Les anciens nous transmettaient beaucoup de valeurs, c'est vrai que la parole était importante. Tu as raison de les mettre par écrit, ta fille et tes petits enfants n'oubliront jamais l'histoire de ta famille. Ca me fait penser à ces tribus en Afrique où tu as un conteur qui perpétue les histoires et la richesse de son peuple.<br /> Prends bien soin de toi. Biz
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J
il faut qu'il reste une trace écrite Maïté, les conteurs n'existe quasiment plus, la transmission orale a ses limites et déformation des contes.<br /> Te rends tu compte que je n'ai que des fichiers dans un ordi, même pas imprimé.<br /> Mes petits enfants auront de la peine à vivre leur présent, mais je vais essayer d'imprimer tout cela. Un peuple sans écrit ne progresse pas.<br /> Que Dieu te garde. Biz
M
Quel régal de t'écouter ce matin. Un bel hommage à ton papa et un beau retour en arrière pour moi...cela fait si longtemps que je n'ai plus entendu personne me compter de belles histoires dans notre jolie provençal, même si j'en ai quelques bons restes, je crois. C'est une histoire vraie je n'en doute pas un instant et je ne connaissais pas le coup de l'aiguille, ni le mot "finatchou". Il fallait en être un sacré de finatchou pour ne pas faire crier la poularde, la coincer et la tuer ainsi ! Bon début de semaine et je t'écoute quand tu veux me raconter de belles histoires :)
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J
Elles commencent à s'effacer dans ma pauvre mémoire, mais il y en a dispo dans la rubrique galéjades. Tu sais certain mots provençaux ne dépassent pas le canton. Imagines, il y a 3 mots dans le var pour dire pois chiches : Cèze pouncus et tchi chez moi. même le pauvre chat devient lou cat, ou lou gat. J'ai un gros livre d'un écrivain de cotignac, monsieur Blanc. il y a moutes choses , et sur 3 pages les surnoms provençaux des habitants de ville ou villages varois. les ctignacéens sont "leï mange régardeli (salade amère) nos voisins ennemis les craçois "les estuba" les enfumés, car le brouillard de notre seul cours d'eau , l'Argens , passe là bas, moralité en automne ils sont enfumés et nous on rigole. un autre exemple plus loin, les habitant de roquebrune sur Argens sont "leï mange limbert" gros lézard verts des restanques. Et oui mais cela disparait. Un secret que tu dois connaitre . Les niçois nous ont volé notre fleuve "le VAR" chose unique en France. Mais on s'en fout car on a L'ARGENS et comme on est riche (faux) on jette l'Argens à la mer, justement à roquebrune sur argens.<br /> <br /> Je veux écrire un truc sur l'estive (transumance), mais je repousse toujours.
R
Bonjour Jupi.<br /> Même si je la connais, il faut que je la relise en entier et tout doucement pour en apprécier à chaque fois un mot, une expression, un figure de style que je découvre ou redécouvre. C'est vrai <br /> " qu'avant " on a été tous plus ou moins roublards et avec ou pour les " copains "...On a en a fait belles quand même...Combien de fois je suis rentré à la maison en tâtant l'atmosphère avant de parler. Pris ou pas pris " that was the question "...Hihi. Merci pour tes histoires car elles me font revivre mes cagades...Porte toi bien et bonne semaine à tous *.
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J
tu le sais René, le monde a bien mal changé, une partie des jeunes sont à la dérive, le laxisme fait des ravages. Et puis on avait peur de la maréchaussée, même à vélos.<br /> je crois qu'en 30 ans on a basculé dans un système comme le dit micron , ceux qui n'ont rien n'existe pas !<br /> C'est pas joyeux, vive les barricades, lessmartphone dans les prisons où les malfrats peuvent continuer leurs affaire, et téléguider les attentats.<br /> Vive les années 70, et peace and love
M
gramaci, Biche pour tes galégades qui mettent de la joie dans ma journée. Je n'arrive pas à choisir entre galégades et bonnes recettes.<br /> Amistousament.
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J
Quelquefois il me prends l'envie de ne pas laisser disparaitre ces choses typiquement villageoises.<br /> Quand aux recettes elles sont classiques , comme celles de nos mémés qui ne mangeait pas du chorizo avec du melon ou de l'ananas (ça c'est typiquement ma fille)<br /> je ne connais pas le mot Amistousament mais je le comprends.<br /> <br /> Amistas.<br /> Patrick, dit biche dans son village
M
Coucou Jupi! Beaucoup de nostalgie dans ta belle histoire. Mon père aussi me racontait ce genre d'histoire... Il me manque tant... Heureusement que , tous les 2, nous avons gardé quelques souvenirs d'eux.... Biz ! bonne semaine!
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M
Qui les lira? Mon fils ? ça n'intéresse plus grand 'monde... Je lui avais écris un poème de son vivant (je parle de mon père) et sur sa traversée de l'Italie... il avait tellement aimé! Nostalgie....
J
Martine , il faut les écrire , quitte à les garder dans un carnet, le papier est le plus sur des stockage. Et dire que je ne le fais pas, misère!<br /> Je pense que beaucoup de gens ont ces genres de souvenirs, mais c'est vrai qu'ici on en rajoute un peu, beaucoup. Biz
C
Merci de nous faire partager ces histoires et souvenirs de votre bien joli pays !<br /> Et je suis d'accord avec Mamily, il nous faudrait le son pour l'accent ....<br /> Amicales salutations de Bri
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J
à l'accent, certains neo provençaux le détestent, mais on ne peux pas le changer. Lire le provençal en silence et ajouter l'accent dans sa tête me donne grande joie, j'ai quelques lettre d'une illustre personne de mon village, et c'est que du bonheur. Il y avait un journaliste local qui écrivait ses articles en fraçais et envoyait ce même article avec des nouvelles du villages à mon père, c'est une montagne de plaisir de retrouver cela.<br /> Bien amicalement de Cotignac
L
Merci pour ton histoire Jupi... Pas galéjade, vraie ! Douce nuit au Sud. RÔOOoooo bisousssSSSS Jupinou.
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J
Si celle là est vraie, j'en ai une autre , oui maizou.<br /> <br /> Roooooooooooooooo Bisousssssssssssssssssssss<br /> <br /> roo il fait à peine 28 dans mon séjour, pffff
J
C'est vrai qu'on ne mangeait pas une volaille comme cela même si on en avait plein la basse-cour. Dans les Landes au début du siècle dernier, il fallait phosphorer aussi pour s'en mettre une sous la dent.<br /> Je me souviens de mon grand-père racontant comment son père, nouvellement arrivé par mariage dans la maison, donc sous la coupe des anciens et en particulier d' une daune (la maîtresse de maison) qui gérait les victuailles, mon arrière grand père donc mourait d'envie de voir sur la table du poulet.<br /> Voilà sa solution: lou clédoun! (le portillon à lattes qui barrait l'entrée des volailles à la porte de la grande salle cuisine).<br /> Donc, estourbir une volaille bien choisie et la poser pantelante au clédoun où elle s'était accidentée toute seule, dit il, alors qu'elle voulait forcer le passage vers les miettes sous la table.. Il fallut bien la manger, daune contrariée ou non.<br /> J'ai aussi vu mon grand père qui adorait les oeufs frits me dire "-Fais m'en trois va, ils sont petits les oeufs ici..." Enfant, il avait vu la même daune, sa vieille tante, couper un oeuf en deux pour le soir et le servir ainsi à chacun.
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J
Toute ces tranches de vie Jacqueline, partent en souvenirs , il faut les écrires sur un carnet avant que notre mémoire oublie, ou pire.<br /> 2poque sans croquette pour chat ou chien, ma petite fille me demande : il mangeait quoi les gens avant, et le chat, et le chien ? Petite tête blonde elle va devoir affronter un monde bien triste où les obstacles sont sans fin, j'espère qu'il ne connaitront pas la guerre (né en 1951 j'ai vécu en "paix").<br /> <br /> Les oeufs n'étaient pas au fipronil, les femmes "gouvernaient" (s'occupaient) les volailles en jetant une volé de grains, ensuite les poules ou autres se débrouillaient. J'ai encore vu dans les années fin 70 des vieilles courbées faire de l'herbe pour les lapins, la bugade (grande lessive) etc....... tout était semblables en France, chacun ses morceaux d'histoires vécues. Couper les oeufs dur ça j'ai pas connu. Les gober oui, c'était si facile.<br /> <br /> bonne journée jacqueline.
M
Au moins une galéjade qui restera dans les annales ! Dommage de ne pas avoir le son .... Pour l'accent ! Ils savaient s'amuser mais que la vie était rude.<br /> Allez, j'en redemande de belles anecdotes, enfin pas pour la pauvre poule ...<br /> Toutes mes amitiés.
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J
J'en ai d'autres Mamily, mais certaines peinent à emmerger de ma mémoire qui a des trous.<br /> Si les poules mourraient , elles avaient une qualité de vie 5 étoiles avant.<br /> Mes Amitiés.<br /> Patrick