Tirage au sort de la grande aiguille en fer

Publié le 5 Avril 2016

La maladie de l'aiguille (galéjade vraie)

 

Galéjade et vraie ne vont pas ensemble, mais il faut faire des exceptions quelquefois

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Cette histoire est presque  une galéjade mais  elle est vraie,  mon père me l'a racontée lorsque j'étais petit.

Cela se passe dans les années  1929.  Comme certaines personnes de mon village sont encore bien vivantes je ne citerais surtout pas leurs surnoms, car en Provence tout le monde à un surnom.

Allez je vous dire un petit secret, mon papa de condition très modeste gardait les chèvres une partie de ses jours de vacances scolaires, tout bêtement il a hérité du nom de "bichette", et moi par la suite, sans avoir eu à garder des chèvres, je suis devenu "biche", c'est comme ça.

 - Qui ? Biche !!! putain.  - Ah c'est toi tu ne pouvait le dire, gngngn !!!!!!!

 Mais revenons à la maladie de l'aiguille

 Bref à cette époque là mon père était déjà un fort bon cuisinier, et lorsqu'il revenait de saison, ses "amis" lui tombaient sur le poil pour lui faire faire la cuisine de leurs ribotes*. Le gibier était abondant, et certains se rappellent encore l'époque où nos anciens avaient des crises de goutte à cause d'excès de gibier dans leurs repas quotidiens. Le docteur du village disait alors :

 - oh maistre, il faut un peu manger de la viande chrétienne maintenant. (fauou mangea Christian, ouro)

 Bon, je sens que vous allez déformer mes propos, ON est pas cannibale, la viande chrétienne veut dire simplement, viande de boucherie, et pas d'abats surtout. Pour les abats il y avait le tripier, qui vendait des tripasses et autres abats qui sont devenus actuellement aussi chers que de la bonne viande de boucherie (exemple la queue de boeuf), maintenant il y a McDo qui vend de la merde sans les tripes  et  ce n'est pas mieux. Vè je préfère une bonne andouillette au moins on sait quelle partie de l'animal on mange, il faut cela ai le goût de la m... mais pas trop

 

Tout cela pour en venir à dire que les grives, sangliers, lièvres, perdreaux et autres, et bé ils en avaient un peu marre. Bé voui, c'était de la viande gratuite, oh ! On n'est pas riche en Provence. Alors pour faire un bon repas ils dédaignaient le gibier et préféraient de la "viande normale", genre poularde bien grasse truffée, avec de la vraie truffe , pas de petits morceaux , de la bonne , de la grosse , de la pure, de la rabasse* de Cotignac, coupée en tranches

 

 - alors biche fait nous une bonne poularde ce dimanche

 - pas de problème (il avait le coeur sur la main, lui qui venait de terminer une saison harassante, la cuisine était bien plus pénible à l'époque), il me faut juste la poularde, à qui le tour cette fois !

 Bé heu, comment te dire, allez  zou on va tirer au sort.

 Je sens que vous posez des questions. Non ce n'est pas l'histoire du petit mousse  sur un bateau affamé, bande de cannibales.

 Je vous explique,  les poulardes étaient engraissées en vue du repas de Noël, en effet cela faisait partie du traditionnel repas de Noël, et non pas la dinde made in USA,  fichtre c'était meilleur. Donc chaque paysan avait dans son poulailler 3 à 4  poulardes, une pour lui, et les autres à vendre.

 

 Ces fils de paysans étaient en train de tirer au sort pour savoir qui allait fournir la poularde à mon père, les truffes ce n'était pas un problème, mais la poularde si !

 

 - oh , buou,  es a tu aqueou cauou ( oh ..... c'est à toi cette fois)

 - aquo mi fa caga es le segun cauou qu'aco mi toumbe sute l'esquine (ça me fait c... c'est la deuxième fois que cela me tombe sur l'échine  "le dos")

 - Mon père il va me tuer cette fois, la dernière fois j'ai dis que c'était un renard, et il m'a cru à moitié.

 - alors fait lui le coup de l'aiguille !

 - et vous croyez qu'il va marcher dans cette combine, il est pas con

 - mais si

 - quoi ? Il est con mon père ?

 - mais non, mais l'aiguille ça marchera tu verras

 A ce stade il faut que je change les surnoms car autrement demain si un rescapé ouvre internet et lit ces quelques ligne il va se reconnaître, et la je vais morfler.

 

 Lou Fèlun (félin) allait s'occuper couillonner et caver quelques rabasses la nuit.  Pour la bastide pas de problème Gàri (le rat) trouvait toujours un bon bastidon pour les ribotes entre autres, la pible (le peuplier car il était grand et mince) s'occupait du pain, et Niele (les puces) piquait le reste dans l'épicerie de sa mère.

Bé, mon père Bichette, fournissait ses outils et son savoir faire.

Pour le vin pas de problème, il suffisait d'aller à la cave coopérative ou notre regretté Camille qui faisait un si bon grenache, donnait généreusement son bon vin (voué les temps ont changés, ils le vendent maintenant).

 

 Et le pauvre buou (.....) avait la lourde charge de fournir la poularde à l'aiguille.

Voila j'y viens certaines de mes lectrices vont me tuer cette fois.

 

 Le samedi matin de bonne heure il s'introduisait dans le poulailler en faisant le finatchou*  et à l'aide d'une aiguille à tricoté en fer "piquait" une poularde juste derrière la nuque, juste un petit trou suffisant pour la tuer sans trace. Puis il allait placer la poularde au milieu de l'enclos et allait se recoucher.

 

 Sa mère le matin en allant donner le grain et ouvrir aux poules (les femmes avaient à charge la volaille et les lapins en plus se toutes les autres tâches, c'était une vie dure à l'époque, je ne rigole pas) trouvait la poularde presque froide, elle appelait son homme pour lui "faire "montrer" comme on dit dans le midi.

 Et mon buou arrivait juste là par hasard

 - à bé merde alors elle était en pleine forme cette bête, moi je n'irai pas la vendre si j'étais toi Pa. On sait jamais, si cela se sait !! (Tout se sait dans un village, tout, même si vous avez eu la gratouille il y a deux jours).

- putain on ne peut pas jeter cette bête tout de même

- demain on fait ribote, je la porte aux copains et je dis rien, moi j'en mangerai pas je dirai que je suis pas bien, et puis ils sont solides et craignent rien eux

- allez zou, prends la et ne dit rien surtout, à personne, hein.

 

 Ensuite il y avait tout le reste de l'histoire, des ripailles, etc ...vous voyez , il n'y avait pas la "staraque", ni jean pierre cotcot pour gagner des millions, ils s'amusaient tout de même, on est bête mais pas méchant.

 

 Voila c'est tout, mais le coup de l'aiguille il ne fallait pas le faire souvent, ils n'étaient pas si cons que ce que vous pensez nos paysans.

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 La recette de la poularde truffée de mon père je ne vous la donnerais pas. Voici un de ses livres au dessus.  Mon père est mort trop jeune et ne me l'a pas transcrite sur un papier quelconque, de même que ses fameuses  langoustes à l'armoricaine, dommage, contentez vous du Net pour trouver bien souvent des recettes plus que fantaisistes ou des sites professionnels payant.

Mon pauvre père , un pince sans rire, faisait souvent des blagues aux nouveaux apprentis, cela était souvent en rapport avec la sauce Nantua - en provençal cela fait  "l'anan tua" on va le tuer. C'est bien un monde révolu pécaïre.

 

 * ribotes : ripaille, bamboche, boire et manger avec excès (anan faïre ribotes) nous allons faire ripaille

 * rabasse : truffes noire , tuber melanosporum

 * finatchou : malin, le fin, rusé, sans bruit

 * rhino : recette facile, s'envelopper dans un drap humide et sortir quelques minutes dehors, succès garanti. Fond de commerce des médecins

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Rédigé par La Cachina

Publié dans #Galèjades

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A
Bien agréable à lire ces histoires anciennes de village.
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J
il y en a beaucoup Annie, mais je n'en connais que peu
C
Magnifique histoire: merci de tout cœur ! Il faut dire que cela me rappelle le dicton de chez moi, selon lequel si un paysan mange un poulet, l'un des deux est malade. D'ailleurs ma grand'mère, il fallait la retenir pour qu'elle ne nous fasse pas manger les poules qui donnaient des petits signes d'un début de maladie : "Elle ne va pas bien cette bête, elle penche un peu, il faut la manger avant qu'elle ne soit vraiment malade !" Eh oui. Merci encore.
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J
la c'est pire que tout, mais maintenant on ne sais pas ce que l'on mange Claire, finis les poules chancelantes, maintenant elles sont bien rangées sur les gondoles sous leurs habits de cellophane
N
Les surnoms .... Une spécialité de mon père et de mon oncles, disparus tous deux. Nous seuls savions de qui ils parlaient !! Et c'était toujours drôle ! C'est vrai que cette tradition se perd peu à peu.
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J
avant il y avait une nécessité car beaucoup de personne vaient le m^me nom de famille sans pour cela être parents, s'il n'avait pas de surnom on disait, "le roger de la francine"<br /> <br /> période révolu, bientôt on aura des puces dans le bras pour être pistés comme des numéros
C
Vous mettez du soleil dans l'âme. Vous lire me fait du bien. Merci beaucoup Jupi.
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J
C'est gentil Catherine, le vrai soleil viens de revenir ici dans le var, nous aussi on a besoin de soleil au sens propre et figuré
J
jolie histoire et tellement bien racontée<br /> bonne journée
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J
c'est la poule qui n'apprécie pas josiane. Bonne journée
R
Bonjour Jupi.<br /> Heureusement que tu es là pour mettre un peu de soleil....Il pleut doucement depuis 3 jours donc impossible de " travailler " au jardin. Pour la pêche idem les rivières sont grosses et j'ai passé l'âge de rester tremper pendant des heures.Mon surnom à Villafrancha était " stocfish ". Pour la maigreur et non pas pour l'odeur hihihi. Ici il m'ont très rapidement surnommé !!!! Tu devineras rapidement par rapport à mon ancien boulot....Hihi.<br /> Bonne journée à tous
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J
et oui, tout le monde dans les petites villes ou village ont un surnom. Cela facilitait la chose car beaucoup avait le même nom de famille, sans être parents.<br /> si je comprends bien tu attends que la rivière monte à portée de moulinet de ta maison !
D
Merci jupi pour ce beau billet qui nous donne le sourire. Ici aussi tous les anciens ont un surnom, et les blagues ne manquaient pas à l'époque, une preuve qu'ils savaient rire de peu<br /> Bises
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J
ce genre de blagues et bien mort, les gens ne rigolent plus assez, c'est rare, ou alors c'est pour rire du malheur des autres, danielle
M
Quelle belle histoire...! Quelle nostalgie tu dois ressentir en racontant çà... ! ça me rappelle quand ma grand-mère me racontait son passé, elle était née en 1898, donc c'était vraiment extraordinaire! Elle habitait chez nous, donc je l'ai super bien connue. Bon courage mon cher Jupi!
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J
le grand malheur c'est que ces histoires ne soient pas sauvées par écrit, et gardées en lieu sur. Tout est en train de se perdre, dommage c'était une époque pas facile mais les gens vivaient sans stress de la vie moderne, pourtant ils travaillaient dur Martine
C
Un régal ton billet d'aujourd'hui !!! On s'y croirait vraiment, et j'ai un peu l'impression d'entendre parler mon père, qui adorait faire des blagues ! Et des histoires de chasseurs, qu'est ce qu'on en entendait à la maison. Quant à ses pauvres clientes à la boulangerie, je te dis pas ce qu'il arrivait à leur dire, même le curé du village y avait droit ! <br /> Allez, je te laisse, j'ai fort à faire ce matin, et à midi nous allons manger chez mon beau-frère. Pour une fois qu'il nous invite, je ne vais pas louper ça. Bisous, bisous.
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J
c'est vrai que les gens parlaient dans les boutiques, ici il y a que chez le tabac qu'on rigole un peu, mais le proprio vends et qui qui on aura, certainement pas une personne du village.<br /> Donc ton père roulaient les gens dans la farine , alala, mets toi bien les pieds sous la table et laisse toi servir, déguste. Bisous.